Pour saluer Franck Venaille (1936-2018)

Franck Venaille nous a quittés le 23 août. Dès ses débuts, en 1963, il avait été salué dans Europe par Pierre Morhange : « Nous t’entendons, Venaille. Et puisque tu es venu, nous ne pourrons plus nous passer de toi, de ta voix pathétique que voilà soudain et désormais parmi nous. » De L’apprenti foudroyé (1969) à La descente de l’Escaut (1995), de Tragique (2001) à La batailles des Éperons d’or (2014) et à Requiem de guerre (2017), l’œuvre de Franck Venaille se détache parmi les aventures poétiques les plus intenses de notre temps. Hantée par une violence originelle et marquée au fer rouge de l’Histoire — la guerre d’Algérie —, elle a très tôt tenté de transférer dans les mots l’énergie de l’angoisse et de la révolte, la sueur du désir et les morsures de la douleur. Une mystérieuse puissance d’émotion en émane, révélant la singularité d’une voix qui aime varier ses rythmes, donner de l’ampleur au souffle ou au contraire le heurter, le briser, et qui sait passer du tragique au grotesque, de l’ardeur épique à l’objectivisme lyrique, ou du sanglot à l’humour jaune sans jamais se départir d’une secrète élégance.

Dans un entretien accordé à Europe pour le numéro que la revue avait eu à cœur de lui consacrer en 2007, Franck Venaille disait notamment : « Je travaille comme ces chevaux de mine qui, jamais, ne remontaient à la surface, sauf, je l’ai appris récemment, chaque année durant une semaine, peut-être pour empêcher qu’ils deviennent fous. Je crois que cette situation exprime bien ce qu’est la condition humaine : vivre, travailler, aimer dans le noir, peiner dans des souterrains qu’il faut sans cesse creuser, au risque de ne plus voir la lumière du jour. Cette voix venue des profondeurs que vous évoquez, c’est, pour moi, celle de la poésie. Il faut sans cesse descendre profondément dans notre enfer personnel afin de la traquer. »

Entre Ostende et Trieste, Londres et Paris, les rives de l’Escautet les montagnes de l’Engadine, l’œuvre de Franck Venaille trouve aussi ses assisesdans une géographie à la fois réelle et intériorisée au point d’acquérirla vertu des mythes. De même voit-on s’y dessiner toute une constellation de fraternités durables, une lumineuse rosacede solitudes où se côtoient Maeterlinck et Jouve, Morhange et Saba, Kierkegaard et Brecht, mais aussi les silhouettes de Wozzeck et de Golaud, les chevaux de trait des Flandres et l’équipe de football du Red Star.Cette œuvre inquiète, tourmentée, amère et cependant généreuse, dissimule en vain une fondamentale tendresse. Et son allure est si justequ’on en frissonne de bonheur.

Franck Venaille nous a quittés, son œuvre et sa voix demeurent. Le Mercure de France, qui fut avec Obsidiane son principal éditeur au cours des dernières décennies, annonce pour le mois d’octobre la parution de son dernier livre, L’enfant rouge. — Jean-Baptiste Para